Dans les années soixante, les élèves du primaire apprenaient que la Martinique est sous-industrialisée du fait de l’absence de minerais. L’essentiel de l’économie reposait sur l’agriculture et le commerce. Les jardins créoles et un petit élevage de proximité procuraient les bases d’une autonomie alimentaire. De nos jours, de nombreux jeunes formés à l’agriculture dans nos écoles ne trouvent pas à s’installer comme exploitant faute de pouvoir disposer du foncier agricole nécessaire à cette installation. Ils sont environ 600 chaque année. La faute à une pression foncière urbaine démesurée et une prédominance de l’agriculture d’exportation, banane et canne au détriment des cultures maraichères et vivrières. Cela nous éloigne d’une production locale suffisante dans la perspective de cette autonomie alimentaire dans un contexte de vie chère.
Le schéma d’aménagement régional en vigueur depuis 1998, prévoyait la préservation de 40 000 ha de terres pour l’agriculture sur les 110 000 ha de la superficie de la Martinique. Au moment de la décision, la surface agricole utile était déjà limitée à 36 00O ha et la question se posait de trouver les 4 000 ha manquant sans toucher aux 64 000 ha supposés d’espaces naturels.
Un bilan effectué en 2008 par le CESER de l’époque reconnaît, dix ans après, l’échec de la politique de préservation des terres agricoles. Le bilan évoque une certaine confusion entre les termes espaces agricoles et surfaces agricoles utiles. On pourrait même y ajouter la notion de surfaces agricoles utilisées. Mais les conseillés régionaux de l’époque ne se sont pas accordés sur les outils permettant de mesurer sans ambiguïté l’espace mis à la disposition de l’agriculture sur toutes ses formes.
La dernière évaluation des espaces faite en 2020 par l’INSEE, évoque une surface agricole utile (SAU) de 22 000 ha. En 22 ans, 14 00 ha de terres agricoles sont allés à l’urbanisation soit plus de 600 ha par année. Sur les 22 000 ha de SAU en 2020, 9 000 ha étaient utilisés par les cultures d’exportation, 8 000 ha de prairie pour l’élevage et seulement 3 000 ha pour le maraicher et le vivrier.
La pression foncière est le fait de l’urbanisation exacerbée dans les Plans Locaux D’urbanisme (PLU) des communes. Le constat fait par des associations écologiques, notamment l’Assaupamar, est que le SAR, document d’aménagement principal auquel doivent se soumettre tous les autres, n’est pas reconnu comme tel et est constamment dévoyé. La révision du SAR qui devait intervenir 15 ans après sa promulgation est toujours en attente. Les conseillés territoriaux ont tenté sans succès, de le remplacer par d’autres schéma d’aménagement tel que le PADDMA (Plan d’Aménagement et de Développement Durable de Martinique)
Le SAR n’a pas empêché l’extension de la population vers le Sud avec une pression foncière accentuée sur les espaces naturels et agricoles. L’habitat diffus se généralise dans les quartiers ruraux et sur les espaces littoraux avec un mitage des paysages. Les perspectives préconisées étaient de mettre en place une programmation cohérente des opérations en vue d’une consommation plus économe et plus rationnelle de l’espace. Cependant, il est reconnu dans le bilan que la révision des PLU se fait toujours en faveur de l’urbanisation. Dans ce contexte, il s’agirait plutôt de faire en sorte que les PLU soient plus respectueux du SAR.
Dans les zones U (Urbanisées) des centres bourg, le bilan révélait l’existence de 144 ha d’espaces disponibles pour la construction. Il s’agissait en particulier des « dents creuses » (espaces non bâtis entourés de construction dans les centres bourg). La préconisation était de limiter l’extension urbaine en favorisant la densification, d’inciter au recours à des logements collectifs et de renforcer les politiques foncières dans les centres bourgs dans le respect de la réglementation sur la protection contre les risques majeurs et notamment les séismes. Cependant, il est plus facile et moins onéreux pour les promoteurs de consommer les terres agricoles pour leur projet, même si cela nécessite de développer des adductions d’eau, électricité, assainissement et voiries. C’est la politique du profit immédiat sans considération pour les générations futures.
Par-delà la pression foncière urbanistique, un phénomène nouveau a fait son apparition à savoir le développement d’éoliennes et du photovoltaïque sans les espaces agricoles. La recherche de sources d’énergies renouvelables pousse à l’occupation de ces espaces. Le photovoltaïque notamment devrait disposer des nombreuses surfaces de toitures, autant dans les espaces agricoles que dans les zones urbanisées. Mais il est illusoire de faire croire que l’installation de panneaux photovoltaïques sur une terre agricole permet son utilisation pour une production de cultures ou même d’élevage. C’est au mieux, une source de revenus immédiats et non négligeable pour l’exploitant agricole qui de se fait, se détourne de sa vocation de nourrir la population.
Nous avons pourtant une jeunesse motivée qui cherche à s’installer en quittant sa formation dans les CFAA et lycées agricoles mais la raréfaction des terres agricoles leur fait perdre toute motivation s’il elle est déterminée à rester dans une production agricole licite.
Dans le contexte mondial actuel aucun pays ne peut se permettre de voir disparaître son agriculture et la pérennisation repose sur cette jeunesse qui sort de formation. La véritable question qui se pose est comment garder l’emploi et sauvegarder l’activité agricole et cela passe certainement par la facilitation de l’installation de jeunes dans l’agriculture pour diminuer notre dépendance alimentaire dont profite les acteurs de la grande distribution.