Sonjé: Mars 1948, répression sanglante des ouvriers agricoles du Carbet

par | Mar 22, 2020 | Culture, Sonjé

En 1848, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la population ouvrière de Martinique est en proie à une situation de délabrement économique et sociale considérable, situation qui a pour corollaire, des conditions de travail pénibles et une activité salariée très peu rémunérée’.

Ce contexte à sa traduction dans l’organisation de la société qui étale clairement son ordre inégalitaire. Il existe un important clivage entre la minorité béké possédante au flanc duquel se trouvent: des fonctionnaires, artisans, commerçants et les professions libérales et la grande majorité de la population ouvrière pauvre et démunie.
L’état sanitaire des plus pauvres ne dément pas la misère subie. La population pauvre se compose de familles nombreuses, vivant entassées dans des cases d’une à deux pièces, dans des quartiers populaires qui ont des allures de taudis, les infrastructures sanitaires sont absentes. Tandis que pour l’autre classe sociale, c’est l’opulence d’une caste de béké propriétaire de tout qui se montre.

Sur ce tableau, fait de tensions sociales, arrive en 1947 le préfet Pierre TROUILLÉ décoré Commandeur de la Légion d’honneur, et de la Croix de guerre, décoration militaire française destinée à distinguer des personnes pour fait de guerre.

C’est ce TROUILLÉ préfet, homme d’armes, qui devient le premier préfet d’une Martinique, tout juste élevée au rang de département français (le 19 mars 1946).

Les faits qui sont connus sur le déroulement des évènements du Carbet, rapportent que sur l’habitation LAJUS, un domaine appartenant à Jaques Bailly, les coupeurs de cannes de la plantation, qui depuis janvier ne sont payés que partiellement, demandaient au 1er mars que les dispositions, prises un an auparavant pour la coupe de la canne soient mises en application, dans les pièces encombrées d’herbes hautes et de lignes, ce que refusera BALLY l’usinier.

Ce refus va entraîner ; le lundi 1er mars, la grève immédiate des ouvriers agricoles de la plantation, et BALLY demandera qu’interviennent les forces de l’ordre, leur enjoignant, de surcroit, de ne pas hésiter à faire usage de leurs armes à feu sur les grévistes.

Le jeudi 4 mars, après trois jours de grève où chacun campaient sur ses positions, BAILLY change de tactique et invite ses ouvriers à venir percevoir le montant du rappel du mois de janvier, qu’ils avaient réclamé à l’habitation LAJUS.

Le syndicat se concerte, pense à un piège, mais il ne peut empêcher les travailleurs grévistes d’aller recevoir le salaire qui leur est dû.

A 18 heures l’opération achevée, les ouvriers regagnent le bourg, ils cheminent le long de la route, quand ils croisent une jeep provenant de Saint-Pierre et ayant à son bord environ une dizaine de gendarmes.

Les gendarmes stoppent leur véhicule en arrivant à hauteur d’un gréviste et de son épouse restés en arrière du groupe, et s’acharnent à coups de crosses sur André Jacques. Ils se livrent à un passage à tabac en règle, Yvonne Jacques, l’épouse, tente de venir en aide à son mari, elle se fait tirer dessus, qui l’atteint à la jambe.

Le bruit des déflagrations alerte les ouvriers qui rebroussent chemin et interviennent pour prêter assistance à leurs camarades. A ce moment-là, c’est le frère du molesté, Henry Jacques tente de désarmer le tireur, mais il est mis en joue par les gendarmes et abattu.
Ces évènements ont été relatés dans le journal Justice qui dira que : « Ce soir-là, les balles ont fusées au Carbet tuant trois personnes, les deux frères Jacques et Mathurin Dalin et blessant grièvement deux autres personnes, madame Jacques et André Balmer ».

La dénonciation du Journal Justice, hebdomadaire du Parti Communiste Martiniquais, vexera le préfet TROUILLÉ qui fera une déclaration radiodiffusée pour dire: « qu’il affirme que les gendarmes du Carbet ont fait feu pour se défendre et parer les coups de pierres que les grévistes leur lançaient ».

Pour enfoncer son clou, le préfet TROUILLÉ intentera un procès au journal Justice, pour son article du samedi 6 mars, et fera en sorte que les journalistes soient condamnés pour « diffamation » à six mois de prison et le journal à 100 000 francs d’amende. Tel sera l’épilogue de cette affaire sanglante.

Mais au-delà du dénuement, les évènements de l’habitation LAJUS au Carbet vont marquer l’histoire des luttes ouvrières en Martinique. En rappelant les noms, des deux frères Jacques et de Mathurin Dalin, comme étant les trois victimes de la tuerie du Carbet. Un crime de classe opéré par les forces coloniales, au profit des intérêts privés des usiniers.